Sa vie
Longtemps oubliée, cachée dans l’ombre du grand maître et père de la sculpture moderne, Auguste Rodin, Camille Claudel (1864-1943) est redécouverte seulement à partir des années 1980. Au travers d’expositions, de rétrospectives, d’ouvrages littéraires, son talent et son œuvre riche et vaste, sont aujourd’hui reconnus comme majeurs dans l’évolution de la sculpture.
Sur l'impulsion de son frère et écrivain Paul Claudel, une première exposition organisée en 1951 au Musée Rodin à Paris est organisée, mais elle ne donne pas de suite.
Une trentaine d'années plus tard, le roman biographique écrit par Anne Delbée, Une Femme paru en 1988, rencontre, un immense succès. Par la suite, Anne Rivière publie une biographie de l’artiste ainsi qu’un premier essai de catalogue en 1983. Mais c'est principalement la rétrospective présentée à Paris au Musée Rodin ainsi qu'à Poitiers au Musée Sainte-Croix qui fait connaître Camille Claudel au public. S'en suit la publication du premier catalogue raisonné centré sur l'oeuvre de l'artiste.
Camille Claudel est née le 8 décembre 1864 à Fère-en-Tardenois dans l'Aisne. Son père Louis-Prosper Claudel est receveur enregistreur, et sa mère, Athanïse Cerveaux, est fille d’un médecin d’Arcy-Sainte-Restitue. Camille, l'aînée, a un frère, Paul (1868-1955), ainsi qu'une sœur, Louise (1866-1935). Camille passe sa petite enfance à Villeneuve-sur-Fère, village où elle reviendra chaque année, synonyme de paix.
En 1870, Louis-Prosper Claudel est nommé à Bar-le-Duc, puis est muté à Nogent-sur-Seine où il occupe le poste de conservateur des Hypothèques entre 1876 et 1879. Les enfants reçoivent du percepteur, un certain Monsieur Colin une éducation classique.
En 1879, la famille Claudel déménage à Wassy-sur-Blaise. Camille évoque très jeune son désir de devenir artiste-sculpteur. Ses premiers modèles sont ses proches, notamment les membres de sa famille, dont son frère et sa sœur qui se prêtent à de longues séances de poses. D’après son frère Paul, elle aurait prédit qu’il deviendrait écrivain, sa sœur Louise musicienne, et elle, sculptrice.
Camille rencontre Alfred Boucher (1850-1934), un sculpteur de la région qui deviendra son mentor après avoir été impressionné par ses premiers essais.
1864-1881: L’enfance
1881-1889 : Les études à Paris
En 1881, après avoir convaincue son père de quitter la maison familiale, Camille s’installe seule à Paris dans une chambre de bonne donnant sur le boulevard Montparnasse. Elle est admise à l’Académie Colarossi, fondée en 1870 par le sculpteur italien Filippo Colarossi au 10 rue de la Grande-Chaumière, qui propose un atelier de sculpture exclusivement réservé aux jeunes filles. Bien qu'elle représente une alternative à l'Ecole des Beaux-arts de Paris, l'Académie Colarossi ferme ses portes dans les années 1950.
Jusqu'à la fin du XIXè siècle, l’École des Beaux-arts est interdite aux femmes. Ces dernières ne sont pas acceptées aux cours théoriques avant 1897. Il faut attendre 1900 pour que les cours en ateliers leur soient enfin ouverts, et 1903 pour que les femmes puissent concourir au Prix de Rome. Cette récompense prestigieuse permettait aux artistes de séjourner en Italie, foyer de l'Antiquité et berceau de la Renaissance; et plus spécialement à Rome, dans la Villa Médicis. Les artistes suivaient des cours, observaient et recopiaient les œuvres de l'Antiquité et de la Renaissance, telles que Le Laoccon ou les œuvres de Michel-Ange et de Raphaël. De retour en France, ces artistes bénéficiaient d'une certaine reconnaissance de leurs contemporains et multipliaient leurs chances de recevoir des commandes officielles.
En mai 1883 et pour la première fois, Camille participe au Salon de la Société des Artistes Français créé en 1881.
1883-1893 : Les années Rodin
Son premier mentor, Alfred Boucher occupe une place importante dans ses débuts d'artiste grâce à ces nombreux conseils. Le sculpteur remporte le Prix du Salon en 1883 et part pour Florence. Néanmoins, avant d'entamer son voyage, il demande à Auguste Rodin (1840-1917) de le remplacer pour guider Camille dans son art. Rodin, de plus de vingt ans son aîné, est impressionné par les premières œuvres de la jeune femme, spécialement par le buste de La Vieille Hélène réalisé en 1882, et celui de Paul Claudel enfant sculpté vers 1885.
A partir de novembre 1885, Camille est admise comme praticienne dans l’atelier de Rodin situé sur la rue de l’Université. Les praticiens étaient de jeunes sculpteurs, des sortes d'apprentis, qui dégrossissaient la pierre pour le maître à partir d’un dessin ou d’un modelage. Toutefois, il est probable que Camille ait occupé une place particulière dès le début pour Rodin tant sur le plan professionnel que personnel. Elle collabore notamment à la réalisation de la « Porte de l’Enfer » ainsi qu’au « Monument des Bourgeois de Calais ».
Camille continue de portraiturer ses proches, notamment son frère Paul et sa soeur Louise ainsi que son beau-frère Ferdinand de Massary. A travers ses sculptures, l'artiste cherche à représenter la personnalité de ses modèles et à faire ressentir des émotions.
On peut noter 3 grandes influences pour l’art de Camille :
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La Renaissance florentine et le style de Donatello
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Le XVIIe et le XVIIIe siècle français
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L'art de Rodin
Ces diverses sources d’inspiration représentent souvent le début d'une réflexion plus poussée et profonde.
Sur le plan personnel, la relation entre Rodin et Camille devient intense et fougueuse. Comme en témoigne cette "lettre-contrat" de 1886 que Rodin n'hésite pas à rédiger :
« Pour l'avenir à partir d'aujourd'hui 12 octobre 1886, je ne tiendrai pour mon élève que Camille Claudel et je la protégerai seule par tous les moyens que j'aurai à ma disposition par mes amis qui seront les siens, surtout par mes amis influents. Je n'accepterai plus d'autres élèves pour qu'il ne se produise pas par hasard de talents rivaux, quoique je ne suppose pas que l'on rencontre souvent des artistes aussi naturellement doués. […]. Après l'exposition au mois de mai, nous partons pour l'Italie et y restons au moins six mois, commencement d'une liaison indissoluble après laquelle Mme Camille sera ma femme [...] Il serait fait une photographie chez Carjat dans le costume que Mlle Camille portait à l'académie toilette de Ville et peut-être en costume de soirée […]. ».
Lettre d'Auguste Rodin à Camille Claudel, 12 octobre 1886,
Archives Musée Rodin, Paris AMR inv. L 1452
Dans cette lettre, Rodin exprime clairement son souhait de s'unir à Camille. Après une telle frénésie et de passion, nous ne pouvons qu'imaginer la douleur ressentie par Camille lorsque Rodin la délaisse pour Rose Beuret, qui est sa compagne de toujours, celle qui l’a épaulée à ses débuts difficiles et dont il a eu un fils né en 1866.
Au cours des années 1880, l’œuvre du maître et de l’élève sont difficilement distinguables, tant le style et l’expressivité des deux artistes sont semblables. Il est complexe de savoir lequel a inspiré l'autre. "La jeune fille à la gerbe", achevée avant juillet 1887 par Camille, et la "Galatée" ,de Rodin réalisée entre 1887 et 1888, en sont une très bonne illustration. Les poses des deux sculptures sont quasiment identique, comme le traitement du nu ainsi que la douceur qui en ressort.
1892-1896 : Les débuts de l’indépendance
"La Petite Châtelaine" témoigne d’une tentative d’autonomie et d’indépendance vis-à-vis de l’emprise de Rodin tant sur le plan artistique que personnel.
Cependant, ce sont surtout deux sculptures qui marquent sa rupture avec Rodin : La Valse et Clotho. Ces œuvres, saluées par la critique et couronnées de succès, témoignent d'une rupture avec l'influence de Rodin qui passe par le choix du sujet ainsi que par le traitement sculptural. Ces deux œuvres incarnent le seul génie et l'expressivité propre à Camille Claudel.
La Valse est achevée en 1893. Dès sa première exposition, la sculpture est saluée par ce déséquilibre de la composition et l’expressivité de ces corps qui dansent. Mathias Morhardt (1863-1939), écrivain et grand admirateur de l'artiste, qualifie le groupe sculpté de "particulièrement humain, touchant".
Dans une de ses critiques parue en 1905, Louis Vauxcelles écrit :
« La Valse est un poème d'une griserie éperdue : les deux corps ne font qu'un, le tourbillon prestigieux les affole, les étoffes tournoient, la valseuse se meurt de volupté"
- L. Vauxcelles, 1905, catalogue de l'exposition Oeuvres de Camille Claudel et de Bernard Hoertger,
chez Eugène Blot, du 4 au 16 décembre 1905.-
Clotho, quant à elle, est une œuvre qui s'apprécie pour les risques et les diverses difficultés techniques pris par l'artiste. Malheureusement, la version en marbre de la sculpture a disparu. Cette sculpture est époustouflante dans le traitement du réalisme poussé à l'extrême: un corps marqué par la vieillesse, des jambes amaigries, un ventre et des seins flaques...
L’artiste cherche son indépendance artistique, sa propre touche. Alors que Camille Claudel tend à rompre avec l'influence artistique rodinienne, Antoinette Le Normand-Romain écrit en 2005 dans le catalogue de l'exposition "Claudel et Rodin, la rencontre de deux destins":
« Clotho apparaît ainsi comme une vengeance, et la plus cruelle de toutes puisque Camille retourne contre Rodin ce qu'il lui avait enseigné » ,
- Antoinette Le Normand- Romain, Claudel et Rodin, la rencontre de deux destins., 2005, p.153 -
1894-1899 : La rupture et « l’Age mûr »
A partir de 1897, les œuvres de Camille Claudel ne témoignent nullement d'une créativité ou d'une innovation nouvelle. Au contraire, l'artiste réutilise les compositions de ses œuvres passés comme "La Fortune" (1902-1905) qui s'inspire de "La Valse", ou encore "L'Aurore" (1900-1908) qui rappelle "La Petite Châtelaine".
L'intérêt nouveau de Camille va pour les matériaux et comment les mélanger pour créer ses sculptures. Elle associe ainsi l'albâtre avec le marbre, ainsi que l'onyx avec le bronze. De plus, elle continue de portraiturer ses proches et notamment son frère, comme le démontre le Buste de Paul Claudel à 37 ans.
Par ailleurs, l’artiste est soutenue par ses amis et admirateurs dont entre autre Madame de Maigret, Octave de Mirbeau, Gustave Georffroy ou encore Mathias Morhardt qui lui consacre un long article paru dans le Mercure de France en 1898. La famille Rothschild et surtout la Baronne Charlotte, œuvre en tant que mécène auprès de Camille. La Baronne fait don du buste de Paul Claudel enfant au Musée de Châteauroux .
Cependant après 1905, les crises de paranoïas de Camille s'accentuent et se multiplient. L’artiste est persuadée que Rodin volent ses créations ou que des inconnus veulent cambrioler et saccager son atelier. Progessivement, elle se renferme dans une grande détresse physique et morale, se négligeant et se méfiant de tout le monde.
En 1909, lors d’une visite à sa sœur, Paul Claudel est choqué par l’état de saleté et d’insalubrité de l'appartement dans lequel vit Camille. En février 1913, il confie ses inquiétudes dans une lettre destinée à l'abbé Daniel Fontaine :
« Quant à ma pauvre sœur, je serai sans doute obligé d'aller à Paris pour la mettre en maison de santé. […] Actuellement, elle ne sort pas et vit, portes et fenêtres verrouillées dans un appartement d'une saleté affreuse ».
- Paul Claudel à l'Abbée Daniel Fontaine, 26 février 1913 , « Lettres de Paul Claudel à l'abbé Daniel Fontaine »,
Paris, Les Belles Lettres, 1978, lettre 12 -
1913-1943 : L’internement et l'oubli
Louis-Prosper, le père de Camille et fidèle soutien, décède le 3 mars 1913 à Villeneuve-sur-Fère. Camille n'est pas informée immédiatement de la mort de son père et n'assiste pas à l'enterrement.
Une semaine plus tard, Camille Claudel est internée le 10 mars 1913 à Ville-Evrard à l’Est de Paris sur décision de sa famille. Elle a 48 ans. A cause de la guerre et de l’arrivée des Allemands, elle est transférée dans l’asile de Montdevergues à Montfavet le 7 septembre 1914. Sur un certificat médical daté du 22 septembre de la même année, il est écrit qu’elle est :
« atteinte de délire systématisé de persécution basé principalement sur des interprétations et des imaginations fausses »
- Archives de l’Hôpital de Montdevergues (Vaucluse) -
Lettre de Camille Claudel au Docteur Michaux, S.D. (25/06/1917 ou 1918), Fonds Paul Claudel, BnF, Paris:
« Monsieur le Docteur,
Vous ne vous souvenez peut-être pas de votre ex-cliente et voisine, Mlle Claudel , qui fut enlevée de chez elle le 13 mars 1913 et transportée dans les asiles d'aliénés d'où elle ne sortira peut-être jamais. Cela fait cinq ans, bientôt six, que je subis cet affreux martyre […].
Inutile de vous dépeindre mes souffrances. […].
Du côté de ma famille, il n'y a rien à faire : sous l'influence de mauvaises personnes, ma mère, mon frère et ma sœur n'écoutent que les calomnies dont on m'a couverte. On me reproche (ô crime épouvantable) d'avoir vécu toute seule, de passer ma vie avec des chats , d'avoir la manie de la persécution ! C'est sur la foi de ces accusations que je suis incarcérée depuis 5 ans ½ comme une criminelle, privée de liberté, privée de nourriture, de feu et des plus élémentaires commodités. […]
mes parents ne s'occupent pas de moi et ne répondent à mes plaintes que par le mutisme le plus complet, ainsi on fait de moi ce qu'on veut. C'est affreux d'être abandonnée de cette façon, je ne puis résister au chagrin qui m'accable […]
Maman et ma sœur ont donné l'ordre de me séquestrer de la façon la plus complète, aucune de mes lettres ne part, aucune visite ne pénètre […]
Ma sœur s'est emparée de mon héritage et tient beaucoup à ce que je ne sorte jamais de prison […] ».

Camille Claudel refuse de dessiner ou de modeler et souhaite retourner dans son village d’enfance, à Villeneuve-sur-Fère. Elle reste enfermée pendant 30 ans dans l'asile de Montdevergues, jusqu’à sa mort survenue le 19 octobre 1943. Elle avait 79 ans.
Camille à Montevergues (âgée de 65 ans),
1929,
Photographie de William Elborne,
Collection particulière,
© Musée Camille Claudel

Camille Claudel (1864-1943)
Photo de César, vers 1884
© Musée Rodin, Paris


La Jeune Fille à la gerbe,
Camille Claudel (1864-1943),
1887,
Terre cuite,
H. 35,6 cm ; L. 18,5 cm ; P. 20,7 cm,
Musée Rodin,
© Musée Rodin
Galatée,
Auguste Rodin (1840-1917),
Vers 1887 ? ,
H. 60,8 cm ; L. 40,6 cm ; P. 39,5 cm,
Musée Rodin,
© Musée Rodin / Christian Baraja

Les Bourgeois de Calais
Auguste Rodin (1840-1917),
1889,
Plâtre,
H : 219,5cm ; L : 266cm ; P: 211,5 cm,
© Musée Rodin (C.Baraja)

La Famille Claudel,
1886,
Photographie,
Archives familiales,
Mais Camille se heurte à deux difficultés fondamentales : Rodin ne peut se résoudre à quitter Rose Beuret et certaines critiques affirment que ses œuvres sont exécutées par le maître lui-même.
A partir de 1886, Camille travaille sur son oeuvres intitulée Sakountala. Ce groupe est sa première œuvre ambitieuse aux dimensions monumentales. Grâce à cette sculpture, Camille reçoit une mention honorable au Salon de 1888. Jusqu’en 1902, Camille reprend Sakountala sous différents noms, comme « Abandon » dans sa version en bronze, « Vertumne et Pomone » dans sa version en marbre destinée à la comtesse de Maigret ou encore dans la « Niobide blessée » qui sera une de ses dernières sculptures.

Camille Claudel sculptant Sakountala
dans l’atelier 17,
rue Notre-Dame-des-Champs.
Au second plan, Jessie Lipscomb.
Vers 1887,
Photographie de William Elborne,
© Musée Rodin / Jean de Calan
Pendant les étés 1889 à 1892, Camille et Rodin parcourent l’Anjou et la Tourraine à la recherche d’inspiration pour le Balzac du maître.
Durant l’été 1892, ils séjournent au château de l'Islette à Azay-le-Rideau, construit au XVIe et situé en Indre-et-Loire . Camille y revient seule jusqu’en 1894. Pour réaliser son célèbre buste « La Petite Châtelaine », elle prend pour modèle la petite-fille de ses hôtes , Marguerite Boyer âgée de 6 ans en 1892.

Château de l'Islette à Azay-le-Rideau
(Indre-et-Loire),